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Quête de sens au travail et démission : un vrai (faux) débat ?

Rédigé par Hervé de Riberolles | 05 avr. 2022

La crise sanitaire a bouleversé les conditions de travail. Le retour à une vie quasi normale a vu le marché de l’emploi américain profondément secoué par des démissions massives. En France, certains secteurs font déjà face à des pénuries de main-d'œuvre. Le confinement aurait-il fait prendre conscience de la vraie valeur de l’emploi et poussé les actifs sur le chemin d’une quête de sens au travail ? Décryptage et analyse d’une réalité plus nuancée.

Les effets de la crise sanitaire sur le rapport au travail

« Avec la crise sanitaire, les salariés en chômage partiel ont pu se déconnecter de leurs obligations professionnelles et réfléchir à d’autres projets qu’ils repoussaient toujours à plus tard. Et ceux en télétravail se sont retrouvés coupés de tous les artifices qui permettent de se distraire du travail et ont découvert par la force des choses si leur travail était réellement satisfaisant. » Dalale Belhout, Responsable Marketing RH et Marque employeur chez DigitalRecruiters, digitalrecruiters.com.

C’est incontestable, la crise sanitaire et le confinement qu’elle a engendré a permis aux salariés de faire le point sur leur situation professionnelle. Le télétravail a aboli les frontières entre la vie privée et la vie professionnelle, incitant les actifs à réévaluer l’intérêt de leur travail. Beaucoup de salariés ne considèrent plus désormais leur travail comme le centre de leur vie, mais comme un simple aspect de leur existence qui doit d’avoir du sens.

Une enquête Randstad, publiée en mai 2020 révélait ainsi que 29 % des personnes interrogées avaient l’impression d’occuper un emploi inutile, contre 13 % avant la crise. Après la crise, 30 % des Français indiquent même avoir pensé à chercher un travail ayant plus de sens, dont 57 % de jeunes actifs de 18 à 24 ans. Cette quête de sens au travail peut-elle expliquer les phénomènes de démissions massives que l’on observe aux États-Unis depuis le printemps 2021 ?

Relativiser la grande démission américaine

« S’il y a un « sens » à tout cela, il ressemble beaucoup au sens des affaires. Le « grand démissionnaire » typique n’est pas un diplômé de grande école parti produire du fromage dans le Larzac parce qu’il a pris conscience de la vanité de l’existence en enchaînant les Zooms dans son appartement de Montreuil : c’est un cuistot à 9 dollars de l’heure qui va griller les mêmes hamburgers pour 10 dollars de l’heure, et à qui il aura suffi pour cela, comme dirait quelqu’un, de ‘traverser la rue’. » Olivier Sibony, Professeur de stratégie, spécialiste de la décision, welcometothejungle.com.

The great resignation, ou « la grande démission », est le nom donné aux départs massifs de salariés américains. Depuis le printemps 2021, 3% des salariés démissionnent chaque mois et on compte près de 11 millions de postes vacants aux États-Unis. La principale raison invoquée pour expliquer ces démissions est la volonté d’exercer un emploi en accord avec ses valeurs et le refus de perdre son temps avec un travail pénible et sous-payé. Mais ces nobles principes sont-ils réellement à l’origine de ce phénomène ?

Des idéaux très conventionnels

Force est de constater que les démissionnaires sont ceux qui exercent des emplois peu qualifiés et perçoivent les salaires les plus bas. En France, le nombre de démissions est moins important qu’outre-Atlantique, mais certains secteurs font également face à des pénuries. L’hôtellerie-restauration peine à retenir ses salariés et à conclure de nouvelles embauches. Tant et si bien qu’une augmentation de plus de 16% a été décidée pour redonner de l’attractivité à ces métiers jugés difficiles.

Comme aux États-Unis, ce sont les emplois qui n’ont pas, ou peu été concernés par le télétravail qui souffrent le plus de la désaffection des salariés. Ils ont tous en commun d’être difficiles et mal rétribués. Les aspirations des jeunes actifs n’ont pas changé : ils veulent un travail valorisant et bien rémunéré. Ce à quoi nous assistons n’est rien d’autre qu’un phénomène économique naturel.

 

Démissions en masse ou renégociation généralisée ?

Plus qu’une prise de conscience collective du sens du travail, il s’agit d’une renégociation généralisée. En démissionnant facilement, ou en refusant des emplois jugés trop peu attractifs, les actifs forcent les chefs d’entreprise à revoir le prix de la pénibilité au travail. Profitant de la tension sur le marché de l’emploi, de plus en plus de salariés n’hésitent plus à saisir la moindre opportunité leur octroyant des conditions de travail plus favorables.

Quête de sens au travail ou nouvelles exigences ?

« La France manque de cadres. D’après la dernière enquête de l’Apec, dévoilée fin janvier, 78 % des entreprises ayant le projet de recruter au moins un cadre en 2022 s’attendent à rencontrer des difficultés, notamment en raison du manque de talents disponibles sur le marché. » Sarah Asali, journaliste emploi et formation professionnelle, capital.fr.

Mais alors, comment expliquer les démissions chez les cadres ? Cette fois-ci, c’est davantage la culture de l’entreprise qui est mise en cause. Les entreprises les plus ambitieuses se distinguent des autres par une manière très particulière de concevoir la collectivité. Certains cadres peuvent pleinement adhérer à l’identité de leur société et y rester pour contribuer à son succès. D’autres peuvent, au contraire, assimiler cette culture d’entreprise à une emprise sectaire et préférer partir.

Dans ce dernier cas, c’est moins la perte, ou l’absence, de sens qui explique la démission, mais plutôt la stratégie managériale. En effet, l’économie sociale et solidaire est particulièrement touchée par le problème des cultures « toxiques » d’entreprise, en dépit des valeurs qu’elle prône.

Là encore, la pénurie de cadres ne peut s’expliquer par une volonté de retourner à l’essentiel. À ces problèmes générés par la culture d’entreprise s’ajoutent, en France, les critères de recrutement de la plupart des entreprises. L’obligation de posséder plusieurs diplômes, notamment un Master, limite, par exemple, les possibilités d’embauche. Cette situation économique est à la faveur des actifs diplômés qui peuvent plus facilement changer d’emploi.

Olivier Sibony alerte sur les dangers du biais de confirmation. Souhaiter voir dans les faits la réalisation de nos espoirs, nous donne une vision déformée de la réalité. Si les vagues de démissions sont réelles et tangibles, les causes qui les sous-tendent sont bien plus pragmatiques que ce que l’on voudrait croire. Il est incontestable que le jour où les salariés tourneront le dos à l’ensemble du modèle économique tel qu'il est aujourd'hui n’est pas encore arrivé.