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La transparence salariale est-elle (réellement) possible ?

La transparence salariale est-elle (réellement) possible ?
08 févr. 2022

Salaires

Aujourd’hui, dans un contexte d’égalité professionnelle, on entend très souvent parler de transparence salariale. Mais qu’est-ce qu’implique réellement une politique de transparence salariale au sein d’une entreprise ? Dans cet article, on vous dit pourquoi la transparence salariale reste difficile à mettre en place, notamment au regard du marché de l’emploi actuel.

Pourquoi la transparence salariale est-elle difficilement applicable ?

Une vision déformée par le prisme de nos propres besoins

Si beaucoup la convoitent, la transparence salariale implique un regard très critique sur soi-même. Or, notre vision est forcément déformée par le prisme de nos besoins. On peut juger avoir besoin d’une augmentation de salaire parce que l’on rencontre des difficultés financières et l’on peut estimer que, par nature, au regard de l’ampleur du travail que l’on fournit et du temps consacré à l’entreprise, celle-ci pourrait bien nous augmenter !

Pour autant, est-ce que le temps que nous consacrons à nos missions apporte une réelle plus-value à l’entreprise ? Le collaborateur se pose-t-il seulement la question ? Pas nécessairement. En cela, il est très difficile d’être transparent sur les salaires.

À poste équivalent, il subsiste tout de même des différences de performances et d’apports individuels. Un salarié peut produire le double par rapport à d’autres collaborateurs, sans pour autant gagner « le double en rémunération ». On observe en réalité entre 10 et 20 % d’écart de salaire, qui par nature, ne reflètent pas le « double de la production » fourni par un salarié, quand bien même celui-ci serait deux fois plus performant qu’un autre au même poste.

La valeur ajoutée d’une performance dépasse très largement la notion de temps de travail, et se mesure aux résultats produits. Car ce n’est pas le temps passé au travail que l’on récompense, mais bien la production, la plus-value apportée à l’entreprise – même si elle peut être liée au temps qu’on y a passé.

On peut travailler plusieurs jours et ne pas réussir à produire ce qu’un autre collaborateur sera parvenu à réaliser en seulement quelques heures. Et cela, il faut pouvoir le reconnaître en faisant fi de ses propres besoins personnels. Si certains considèrent que la transparence salariale est vectrice de motivation, elle pourrait en réalité générer de l’envie, de la jalousie et de la frustration chez un collaborateur qui ne comprendrait pas le fondement des salaires affichés.

Lorsque les écarts ne sont pas justifiés, l’entreprise a failli et cela se fera savoir à un moment ou à un autre, d’autant plus si les collaborateurs discutent régulièrement entre eux et lèvent le tabou lié à cette question. Pour autant, il n’y a pas besoin d’une politique de transparence salariale pour cela ! 

L’évolution du marché en défaveur d’une politique de transparence salariale

Au-delà de l’incohérence d’une hausse de salaire injustifiée, la transparence salariale est problématique vis-à-vis de l’évolution du marché de l’emploi. Il est aujourd’hui beaucoup plus compliqué d’attirer les talents convoités : cela demande plus d’argent à investir qu’auparavant. On se retrouve donc dans une situation où l’on est susceptible d’« acheter » les talents qui ont moins d’expérience, mais « plus cher » qu’auparavant. Par conséquent, on propose à des profils « juniors » un niveau de salaire relativement proche de celui auquel peuvent prétendre des collaborateurs avec 5 à 10 ans d’expérience au sein de la même société.

On a donc de nouvelles recrues qui, parce qu’elles entrent dans un marché favorable, vont en effet gagner un salaire relativement similaire à celui de salariés ayant plus d’expérience. Un sacré paradoxe… et pourtant bien, une réalité à l’heure actuelle !

Par exemple, en 2022, un développeur IT avec 10 ans d’expérience peut viser un salaire annuel brut autour des 50 k€, lorsqu’il y a encore quelques années, nous étions plus proches des 38 k€ bruts annuels. Cet écart de 12 k€ n’est pas justifiable ni justifié au regard des missions ou des profils : c’est la résultante directe des tensions sur le marché de l’emploi.

La transparence salariale est donc, là encore, problématique. Économiquement, il n’est pas viable de compenser cette tendance du marché en récompensant chaque salarié parce qu’un nouvel entrant gagnera davantage à son arrivée. On ne peut pas décider que tout le monde gagnera 50 k€ bruts à l’année dans une même entreprise !

Bien qu’ici les écarts peuvent être expliqués par les tendances du marché, comment expliquer à un salarié désavantagé que c’est précisément ce même marché sous tension, qui nous conduit à recruter « plus cher » ?  

 

La transparence salariale, dans un monde idéal ?

La nécessité de s’autoanalyser

Lorsqu’un salarié exprime son incompréhension devant un écart de salaire, il doit pouvoir évaluer objectivement son parcours, son expérience, son savoir-faire, et ses soft skills. Cela implique que le collaborateur ait l’honnêteté de se demander comment il se situe vis-à-vis de l’entreprise, ce qu’il produit, et de ne pas surévaluer ses compétences. Il s’agit non seulement de s’auto-analyser mais aussi de porter un regard objectif sur le collègue – qui (peut-être) gagne davantage – en tenant compte de sa capacité à produire, de l’intégralité de son parcours, de son expérience, de son savoir-faire. Ainsi, on pourra effectivement comparer les salaires. Mais en réalité, a-t-on réellement ce recul ?

Dans toute stratégie de développement, il est dans l’intérêt des entreprises de disposer d’une politique RH et salariale cohérente. Celle-ci doit être adaptée au niveau de compétences de chacun, et à ce que le collaborateur apporte à l’entreprise. Cela implique évidemment un regard critique. Il est cohérent qu’un collaborateur gagne 10% de plus qu’un autre parce que l’on aura estimé qu’il générait plus de résultats à un moment donné dans l’entreprise et que, parce qu’il produit mieux, l’entreprise se porte mieux.

Si l’on applique réellement la transparence, les salariés les moins rémunérés – parce que moins productifs – seront-ils conscients que leur niveau de productivité n’est pas le même que d’autres collaborateurs  « plus efficaces » ? Dans un monde idéal, et sur le plan philosophique, la transparence serait tout à fait faisable. Mais nous sommes forcés de composer avec la réalité qui est la nôtre aujourd’hui.

La transparence salariale implique que chacun ait la capacité de reconnaître les qualités de l’autre, ce qui est difficile lorsque l’on souhaite gagner davantage, y compris pour le manager qui devra faire preuve de courage s’il souhaite être honnête vis-à-vis de ses collaborateurs les moins « productifs ».

La difficulté à revoir des grilles de salaires : le benchmark, la solution ?

La transparence salariale suppose que l’on ait « nettoyé » au préalable les grilles de salaires, et ce de façon extrêmement technique. Aussi, cela implique que tous les employés aient un salaire fixe qui correspond bien à leurs compétences, leur niveau d’études, leur expérience, afin que tous les écarts de l’entreprise soient justifiables. Si l’entreprise n’est pas en capacité d’élaborer cela, une politique de transparence salariale sera préjudiciable à son fonctionnement interne. Elle amènera une hausse des salaires, non forcément justifiée, et sera, indéniablement, vectrice de polémiques.

La transparence pourrait fonctionner si chaque employé était indexé sur un benchmark, que toutes les entreprises y indexaient leurs grilles salariales, et que tout le monde était, par conséquent, rémunéré en fonction de cette grille, issue de ce même benchmark suivi par tous.

Il faut rappeler que le benchmark à tendance à lisser les effets des augmentations de salaire (pas d’effet yoyo !). Si l’expertise des organismes de benchmark assure qu’un développeur IT avec 5 ans d’expérience doit gagner un salaire annuel brut de 45 k€, il sera alors plus simple pour les entreprises de se baser sur ces critères. Pour autant dans un marché de l'offre et de la demande chacun aura à cœur de s'adapter au marché et donc actuellement d'être mieux disant.

Pour aller plus loin : les Français et la baisse des salaires

Aujourd’hui, les Français sont d’accord pour gagner moins d’argent mais souhaitent obtenir des avantages sociaux en contrepartie. Et, s’ils sont prêts à gagner moins, ils souhaitent par conséquent travailler moins et gagner de l’argent sur lequel ils paieront moins d’impôts. Leur objectif ? Bénéficier du même niveau de « reste à vivre ». La réalité est qu’aujourd’hui, il n’y a pas un salarié sur dix qui accepterait une réelle baisse de salaire malgré tous les avantages présentés. Et pour cause : si l’on supprime par exemple 20 % de sa rémunération, le salarié déchantera rapidement en se rendant compte de la baisse directe de son pouvoir d’achat et de consommation. 

 

Bien que l’on ait aujourd’hui tendance à vanter les mérites d’un sujet dont le tabou serait en train de tomber, la transparence salariale peut être problématique – voire préjudiciable – pour l’entreprise et ses salariés à plusieurs égards. D’une part, elle est difficilement applicable car la vision d’un collaborateur à ce sujet peut tout à fait être déformée par le prisme de ses propres besoins personnels. D’autre part, le collaborateur devra faire preuve d’honnêteté vis-à-vis des autres et de lui-même, au regard de son niveau de productivité dans l’entreprise et ne devra pas céder à la tentation de se surévaluer.

En outre, la tension du marché actuel implique d’investir davantage pour recruter de nouveaux talents, ce qui vient creuser une certaine inégalité avec d’autres collaborateurs disposant de plus d’expérience. La transparence salariale, dont on dit qu’elle favoriserait la motivation, pourrait au contraire générer des tensions en interne, des frictions relationnelles et de la frustration. Si l’on souhaite appliquer la transparence salariale, il convient de tenir compte de tous ces paramètres et d’indexer ses grilles de salaire sur un benchmark fiable ce qui n'est pas toujours facile à évaluer ! 

 

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Auteur de l'article

Fabien Lucron

Le fil rouge de sa carrière est l'efficacité commerciale et le management d'équipes dans des secteurs aussi variés que la communication, la banque ou l'assurance. Il y a 15 ans, il a rejoint le cabinet Primeum pour mettre en œuvre son ambition de développement en France et à l'international et contribue aujourd'hui à mettre en œuvre sa stratégie marketing (gestion de la marque, lancement de produits, marketing digital, stratégie inbound) et sa communication interne et externe (relations médias, évènements, relations clients).

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